Il n'y a que les imbeciles qui ne changent pas d'avis

Publié le par Louis Sipher

« Imbécile de Wutan » pensa Wong. « Evidemment, la balle était faute, il faut être aveugle pour ne pas s’en apercevoir ». Mais c’était ainsi, Wutan avait décidé que la balle était bonne, pleine ligne même. Il en coûta à Wong le tie break, et par la même, le match.

 
Imbécile de Wutan. Quand Wong avait su que ce dernier arbitrerait la rencontre, il avait tout de suite compris que son tournoi était compromis. Il estimait bien faible ses chances d’accéder à la finale et de brandir le trophée du cercle sportif de Hue. Cette faute d’arbitrage évidente confirmait ses craintes.

 
Comment se fier à quelqu’un comme Wutan ? Son père était un montagnard de Dalat, tandis que sa mère confectionnait de l’osier à Hue, dans la plaine. On ne savait jamais quel parti Wutan allait prendre, et la plupart du temps, des qu’une polémique naissait, Wutan modulait ses opinions, pour toujours finir en accord avec la majorité.

 
Ce comportement agacait Wong au plus haut point. Il le considérait comme des plus méprisables. Wutan, de par sa naissance, n’est qu’un « mélangé ». On ne peut se fier à genre de personne, pensait Wong. Elles finiront toujours par vous trahir.

 
Puis le temps passa. Wong réussit son certificat d’étude, puis son bac, dans ce qui était alors une colonie française. Il fut fiancé à Bac Me, fille d’un des plus puissants marchands de Hue. L’avenir de Wong était tracé. Grâce à l’argent de son beau père, il allait pouvoir partir pour la métropole, ou il allait mener des études d’ingénieur, dans une prestigieuse école française. Il reviendrait ensuite à Hue, ou, fort de son diplôme, il obtiendrait un poste important dans l’administration de la colonie.

 
Mais la vie est parfois imprévisible : c’est lors d’un voyage organisé par l’Ecole à Nancy, sur la place Stanislas, que Wong la vit pour la première fois.  Elle était très différente des femmes vietnamiennes. Au premier regard, Wong en devint éperdument amoureux. Elle aussi était folle de lui. Elle s’appelait Marie Jeanne, c’était la fille d’un teinturier breton.

 
Quel scandale lorsque Wong débarqua avec Marie Jeanne à l’aéroport de Saigon. On raconte que le père de Bac Me ne s’en remit jamais.

 
Ce soir, Wong s’endort en souriant. Ses 3 enfants s’endorment dans leur chambre. Ses 3 « mélangés », comme il se plait à les appeler.

 
Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.




Publié dans Yo Lo Digo

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